Réflexions et conseils pour les aidants

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Auteur : Marc Lesage

Prendre soin des liens, oui, mais comment ?

Dans tous les contextes, le travail avec les familles semble incontournable afin d’œuvrer en synergie pour l’accompagnement d’une personne. D’une famille à l’autre, nous rencontrons des publics différents, des problématiques différentes, auxquelles il convient toujours de s’adapter et de prendre soin des liens. Le professionnel accompagne la personne et soutient l’aidant et la famille.

Problématiques observées

Au domicile ou en institution, les aidants et les familles occupent une place plus ou moins importante dans l’accompagnement de leur parent ou conjoint.

Au domicile, entre conjoints, la relation est toute entière remise en question. Certains aidants ne manquent pas de ressources, voire en arrive même à trouver le temps pour militer en faveur de leur cause, qui est loin d’être facile. C’est le cas par exemple de la blogueuse Kat aidante (1) ou de Chantal Le Norcy présidente de l’association A.L.D.O(2). Malheureusement, il en est d’autres qui se trouvent d’avantage en difficulté. C’est le cas de Madame F.

En Ehpad, lors de visites familiales par exemple, nous pouvons observer qu’elles rencontrent une problématique rarement évitable. Après s’être dit bonjour et avoir échangé quelques mots, au bout de quelques temps, il arrive  que la personne institutionnalisée décroche, porte son attention sur l’environnement immédiat, ou les autres résidants et se détourne de ceux qui lui rendent visite. Si la visite est faite à plusieurs (conjoint, enfants et petits-enfants) la famille finit généralement aussi par se détourner de leur parent. Ce double détournement conduit à une dissolution du lien.

 

Une situation courante, n’en est pas moins difficile

Monsieur F. est porteur de la maladie de Parkinson, ainsi qu’une démence sénile à un stade plutôt avancé. Il est autonome dans sa prise aux repas et se déplace facilement. J’ai donc été missionné pour des sorties, afin que Madame ait du temps pour faire ses courses. Très vite, j’ai pu observer la difficulté du couple dans leur relation. Madame souhaitait avoir des conversations avec lui à propos de ce que nous avions fait ensemble durant l’après-midi, ou dans un sens plus large, de leur passé commun. Monsieur quant à lui n’était pas en capacité d’apporter de réponse… Madame vit avec son mari, mais si elle est informée de ses difficultés mnésiques, elle ne semble pas encore en avoir réellement mesuré la réalité et son importance.

Tous les deux sont en grande difficulté relationnelle. Dans cette situation, il est nécessaire de se questionner. Que mettre en place pour amener Madame à réaliser la situation de Monsieur et à s’y adapter ? Comment contribuer à les réconcilier et à renouveler le lien ?

 

Le deuil blanc(3) de l’aidant (Encadré)

 

Dans la plus grande majeure partie des cas, l’aidant éprouve des difficultés financières, est plus ou moins isolé, se sent responsable de la personne aidé et culpabilise de ne pouvoir faire suffisamment, il s’épuise.

Mais plus encore, l’aidant est en deuil, alors que l’aidé est toujours vivant, il éprouve le deuil des capacités perdues et assiste à leurs déclins. Le deuil blanc ne se résout pas à la différence d’un deuil ordinaire. Ce deuil peut osciller entre les phases de choc, de déni, de colère, de négociation, et de dépression (3). Il est rare que l’aidant surmonte cette épreuve sans accompagnements, informations, ou orientations en fonction de ses besoins, à lui ! L’accompagnant à domicile devra tout faire pour mobiliser ses ressources afin de le soutenir avec pour objectif de sauvegarder au mieux ses force de résilience.

 

Mon expérience m’a montré que dans cette épreuve, la plus grande difficulté des aidants est de ne pas parvenir à rejoindre, à rencontrer leur conjoint. Face à la réalité de la maladie, ils se sentent désemparés. Dans la plus grande partie des cas, ils sont aussi en attente d’une aide qui leur permette d’instaurer une relation nouvelle où il leur sera possible de rencontrer à nouveau celui ou celle qui aura partagé parfois toute une vie avec eux. L’accompagnant s’efforcera de mettre en évidence que la simplicité des choses de la vie à travers le langage des sens est le lieu où la rencontre est toujours possible. Il accompagnera donc la personne dans des activités sensorielles toute en soutenant et informant l’aidant pour favoriser cette rencontre nouvelle.

 

L’accompagnement, un support d’exemple concret

Madame F. est issue d’une famille aisée, très aisée. Elle était coquète et aimait s’occuper d’elle. Depuis le début de la maladie de son mari, elle s’est centrée sur lui au quotidien, abandonnant le temps qu’elle pouvait consacrer à elle-même. Suite aux observations des difficultés relationnelles du couple, dans un premier temps, je me suis attelé à instaurer une relation de confiance avec Monsieur F. sous le regard de Madame. Mon idée première était de l’amener à me poser des questions. Dans un second, qu’elle puisse comprendre d’elle même que même si Monsieur n’a plus les fonctions cognitives nécessaires pour répondre à ses attentes, une autre forme de relation est possible : Lorsqu’il semble ne plus rien y avoir, il reste toujours la tendresse, l’attention et les petits gestes dans les moments partagés.
Par exemple, Monsieur aime le Foot à la télé. Au tout début, lorsque j’arrivais pour l’accompagner à la promenade, Madame éteignait le téléviseur et lui demandait de se préparer. Monsieur n’avait alors pas envie de s’exécuter, ce qui donnait lieu à des disputes. J’ai alors proposé à Madame de m’occuper de Monsieur, dès mon arrivée. C’est donc à moi que revenait la redoutée « extinction du téléviseur ». Plutôt que de l’éteindre, je m’asseyais à côté de Monsieur, lui demandait quelle équipe jouait, combiens de buts avait été marqués, bref, je recherchais la complicité au delà du fait qu’il se trompait de score ou d’équipes . Puis, je lui disais : « Vous avez vu ce temps dehors, c’est magnifique, j’aimerais bien faire une promenade avec vous, vous êtes d’accord ? » Il me regarde, sourit et me dit : « C’est une très bonne idée, oui, allons faire une belle promenade ! » Madame qui observait, me dit: « Vous lui passez tout et il fait ce que vous lui demandez ». Je lui ai répondu : « Oh vous savez, je n’ai pas besoin de m’opposer à lui, il a envie d’aller se promener et ça nous fait plaisir à tous les deux ».

Un projet mutualisé

Qu’attendent-ils l’un de l’autre et que veulent-ils l’un pour l’autre ? (5) Ce fut un questionnement de départ de ce projet.

Comme il faisait chaud, j’ai proposé à Madame F. de « préparer un sorbet citron basilic »(6) avec son mari. Cela consistait alors à chercher la recette, faire une liste, faire les course, et, fait inattendu mais heureux, trouver une sorbetière. J’ai proposé à Madame de demander à des voisins s’il serait possible de nous en prêter une ! Après un moment de réflexion, elle acquiesça. Par la même occasion, je lui ai proposer- en échange – de demander à ces mêmes voisin s’ils souhaitaient se joindre à nous pour la dégustation. Et pourquoi pas, d’inviter sa fille, son beau-fils et son petit-fils. Je lui ai demandé d’y réfléchir, puis je lui ai dit que cette fois-ci, c’est nous, son mari et moi, qui ferions les courses et que si elle le souhaitais, elle pouvait durant ce temps « aller chez le coiffeur »(7), s’occuper d’elle…

Bon, cette annonce a eu pour effet  un choc émotif… Elle n’espérait visiblement plus que cela puisse arriver un jour ! Elle était vraiment très heureuse à cette idée et finalement accepta d’inviter les voisins et sa famille. La mise en œuvre du projet est courante,  mais ici, le seul objectif ne concernait pas que Monsieur, mais aussi Madame !

Le partage du sorbet en ce mois de juin fut très bien accueillit, Monsieur s’est senti utile, mon travail de médiation le fit participer aux échanges. Madame a soufflé un peu, elle était reconnaissante envers son mari qui a bien voulu m’aider et durant quelques instants, le lien s’est resserré. De plus, Madame a vécu un moment social avec sa famille et ses voisins. Pendant ce moment, elle était redevenue femme et non seulement conjointe.

Analyse

Lorsque nous accompagnons les personnes, il arrive que nous remarquons la posture inadaptée de l’aidant, dans la « folle espérance » de le retrouver tel qu’il était. Comment faire pour soutenir l’aidant et l’aider à changer de posture ? Au lieu d’expliquer, de prendre une posture de sachant… notre exemple peut servir de support de savoir-faire, de bonnes pratiques.

L’accompagnant de proximité peut veiller à mutualiser les projets et si possible, y inclure l’aidant, la famille ou des proches. L’aidant a besoin de soutien, d’écoute et d’empathie, aussi… Car un aidant qui se réapproprie un peu de ce qui fait sa personne, qui retrouve un peu de son estime de soi, c’est un aidant plus disposé et disponible pour accompagner la personne aidée.

 

Notes

  1. http://chroniqueshortensiennes.blogspot.fr/
  2. http://www.association-aldo.fr
  3. Elizabeth Kübler-Ross : « Sur le chagrin et sur le deuil »
  4. « Le deuil blanc » Ressource pour les personnes atteintes de l’Alzheimer ou d’une maladie apparentée et leurs proches (Sur le site : http://www.alzheimer.ca)
  5. Gary Chapman  » Les 5 langages de l’amour »
  6. Projet de Monsieur

7.Projet de Madame

 

Bibliographie

Marcel Mauss : « Essai sur le don »

Guy Ausloos : « La compétence des familles »

Laurent Ott : « Le travail avec les familles »

 

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